WORDS

Texts, QUOTES, INSPIRATIONS and thoughts

(Textes, citations, Inspirations et Réflexions)


SUR MON RAPPORT À LA cOULEUR - 2024

J’associe la couleur à la lumière, pour moi elle est vibration et présence. J’intègre la couleur sans pour autant vouloir représenter, utiliser ou reproduire une large palette de couleurs dans mon travail graphique. La gamme colorée réduite avec laquelle j’ai choisi de travailler a un rapport particulier avec la lumière et ses effets. D’un côté je privilégie le blanc et le noir qui sont des non-couleurs, et de l’autre les couleurs rouge et doré qui ont une relation très particulière avec la lumière. Le doré est une couleur à la fois très lumineuse et intense, elle irradie et renvoie sa propre lumière. Le rouge quant à lui est une couleur primaire, primitive, vive, présente dans notre corps et pourtant invisible, mais aussi universelle car signifiée dans la plupart des langues et perçue très tôt par les enfants. Je joue sur l’association blanc, noir, rouge et doré, de manière à la fois symbolique, physique et vibratoire, pour créer des effets visibles et invisibles, selon le lieu, la lumière et l’expérience physique et psychique de la personne qui intéragit avec mes dessins. Dans mon travail, il est question d’explorer la perception, le positionnement et le rapport à la lumière, au dedans, au dehors et autour. J’envisage la couleur comme ligne et forme, à la fois cernée et concentrée, catalysante et conductrice.


SUR LA PLACE DU DESSIN - 2024

Le dessin a une place centrale dans ma vie et ma pratique. Qu’est-ce que dessiner sinon laisser une trace ? Quand j’étais enfant, je dessinais et coloriais beaucoup, je pense que cela m’a beaucoup aidé pour exprimer et extérioriser ce qui m’animait de l’intérieur. Il faut dire que le dessin est l’une des première activités que l’on découvre enfant et qui permet d’apprendre à tenir un crayon, utiliser des couleurs, reproduire des formes, représenter le monde, exprimer ses émotions et son imaginaire. Le dessin a une dimension primitive, en témoigne l’art pariétal, car en s’inscrivant dans l’espace et le temps, il traverse les siècles, se détache des modes et constitue son propre langage. Je suis fascinée par le dessin car il est lié à l’origine et l’histoire du langage, il fait le pont entre l’intériorité et l’extériorité, l’ombre et la lumière. Au-delà d'être un témoignage des civilisations primitives, le dessin est un vestige universel, voire personnel. Dans mon cas, le peu que je possède encore de mon passé et de ma petite enfance sont des photos et des dessins. Quand j’ai quitté la maison de ma mère, je sentais que je n’y retournerais pas et j’ai instinctivement emporté avec moi une partie de mes dessins d’enfant. Quand elle l’a quitté à son tour, elle m’a seulement dit que toutes mes affaires avaient été jetées. Je ne peux m’appuyer que sur cette réponse car je n’ai pas pu vérifier cette information. Le dessin est donc un medium très important pour moi car il fait le lien avec mon histoire, mon passé, mes origines et mon humanité.

Détail d’une paroi montrant des points-paumes de couleur rouge de femmes ou adolescents, Grotte Chauvet 2, Ardèche. ©Patrick Aventurier


SUR MON RAPPORT A LA PEINTURE (SENS PROPRE & FIGURÉ) - 2024

Mon rapport à la peinture est à la fois proche et distant. Parmi les œuvres des artistes que je préfère et que je considère comme des références, il y a beaucoup de tableaux. Ceci étant, je ne veux pas faire de la peinture ou être peintre tout comme j’admire également le travail de nombreux cinéastes sans pour autant avoir envie de faire du cinéma. Ce qui m’inspire dans le cinéma et la peinture ce sont avant tout les sujets, l’utilisation de la lumière, la composition et la vision de l’artiste. Par exemple, dans les toiles de Pierre Soulages, la peinture sert à explorer la lumière à travers l’outrenoir, dans les tableaux d’Anna-Eva Bergman, la peinture est un moyen d’aller vers une forme de spiritualité, dans les compositions d’Agnès Martin, la peinture permet de représenter concrètement les émotions. Leurs recherches respectives portaient sur la peinture en elle-même, comme médium et sujet principal.

La peinture est un médium que je perçois comme compliqué, polluant, salissant et qui requiert souvent beaucoup de place, de moyens et de temps. Je ne me suis jamais consacrée à la peinture, je me souviens avoir peint quelques toiles quand j’étais plus jeune et que j’ai toutes jetées. J’avais également réalisé une pièce qui était faite de peinture glycéro rouge et de verre. Je faisais directement couler la peinture rouge sur des petites plaques de verre rectangulaires, sans utiliser de pinceau, et une fois sèches, je les assemblais pour en faire une composition morcelée (la pièce n’existe plus mais quelques dessins préparatoires subsistent). Il existe à présent de la peinture écologique ou naturelle, mais ni le rouge, ni le doré que je souhaiterais utiliser sont des couleurs disponibles. Le dessin et l’installation sont pour le moment des techniques qui me conviennent mieux car je peux utiliser des moyens de production plus accessibles, modestes, réutilisables ou recyclables. J’essaye d’avoir une approche plus consciente et écologique par rapport à ma pratique et aux matériaux que j’utilisent. Pour moi l’art doit ajouter de la valeur au monde sans chercher à détruire ou dominer, même si j’admire la peinture, je préfère le dessin.


« I believe in living above the line. Above the line is happiness and love, you know. Below the line is all sadness and destruction and unhappiness. And I don’t go down below the line for anything. »

Agnès Martin


SUR ÊTRE ARTISTE ET SALARIÉE - 2024

Il y a autant d’histoires qu’il y a d’artistes. Beaucoup d’artistes ont une activité salariée, ce qui est mon cas. Il semble qu’être salarié(e) et artiste soit perçu comme un problème, qu’il faut séparer les deux, si bien que quand on est salarié(e) à plein temps et qu’on a une activité artistique, on est très vite catalogué(e) artiste amateur(rice) ou jugé(e) comme tel(le). Parfois, c’est comme si être salarié(e) était en soi un échec, un tabou, une honte, une faiblesse, quelque chose de secondaire à cacher. Lors d’un entretien d’embauche, un recruteur m’avait fait part de ses craintes sur le fait que je sois artiste et doutait de la solidité de mon engagement, et inversement, lors d’un rendez-vous dans une galerie, la propriétaire questionnait indirectement ma situation financière et doutait de la consistance de ma pratique. Qu’il soit artistique ou alimentaire, le travail a une valeur. Cependant, certaines professions qu’exercent les artistes sont mieux perçues comme enseignant(e), directeur(rice) artistique, assistant(e) d’artiste, artisan(e), régisseur(se) d’œuvres par exemple car elles sont liées à l’art, au savoir ou au savoir-faire. Par ailleurs, celui ou celle qui a une pratique artistique a la possibilité d’accéder au statut d’artiste reconnu(e), légitime et pouvant renoncer à une activité salarié(e) en complétant et allongeant sa liste de légitimations. Ceci étant, beaucoup d’artistes sont de fait illégitimes.

Pour subvenir à mes besoins, j’ai principalement travaillé comme vendeuse et hôtesse d’accueil dans des musées parisiens, puis dans une boutique d’appareils photographiques à Marseille et aujourd’hui, comme chargée du développement pour un entreprise où je suis associée. J’avais choisi de travailler dans le domaine de la culture pour être au plus proche de l’art, des œuvres et des artistes, puis je me suis rendue compte que je servais surtout les autres, je travaillais au service de leur plaisir ou de leur développement au point de devoir rester en retrait, ne pas trop m’affirmer au travail en tant qu’artiste et de n’en tirer que très peu de bénéfices. On m’identifiait comme vendeuse pas comme artiste, on venait voir la vendeuse pas l’artiste, on avait besoin de la vendeuse pas de l’artiste. Le travail peut être une source de frustration et d’abnégation, au point de s’effacer, de jouer un autre rôle et de ne plus exister.

L’activité salariée peut prendre beaucoup de temps, cela peut aussi diminuer la confiance en soi et dans sa production artistique, voire pousser au renoncement ou à l’isolement. Je ne souhaite pas survivre en étant seulement artiste, ni vivre uniquement en étant salariée, il y a toujours un équilibre à trouver entre ce qu’on peut et ne peut pas faire ou accepter. Pour moi, l’art est surtout une question de temps, le temps que l’artiste y consacre et le temps que les autres prennent à s’y intéresser. Il y a toujours des phases plus ou moins heureuses dans un parcours artistique mais j’ai finalement compris qu’il faut cultiver un certain détachement et ne pas perdre de vue ses objectifs, car être artiste c’est le projet d’une vie, pourvu qu’elle soit longue nourrie de belles rencontres.


« Nous savons que l’homme est solidaire de la nature non seulement en ce sens qu’il en fait partie ou, comme le veulent les sciences biologiques, qu’il en est issu et en est un produit, mais encore, et même avant tout, en ce sens que chaque mouvement de son âme trouve un soubassement profond et tout naturel dans le monde et nous révèle ainsi une qualité primordiale de la structure de l’univers. Cette solidarité structurale est une des garanties de l’objectivité du côté poétique de la vie. »

Eugène Minkowski, Vers une cosmologie.


SUR L’ART ET l’ÉCOLOGIE - 2024

Pendant longtemps, je ne me posais pas la question de mon impact écologique lorsque je créais et produisais des pièces. Dans les années 2000, quand j’étais alors étudiante en licence d’arts plastiques à l’université de Nîmes, je n’avais pas beaucoup d’argent, j’avais donc pour habitude de récupérer beaucoup de matériel dans la rue et dans les poubelles comme du carton, des boîtes à chaussures, des meubles, des vêtements, toutes sortes de matériaux divers et même de la nourriture. J’avais également récupéré un appareil photographique détérioré qui appartenait à un aïeul, qu’un voisin passionné de photographie m’avait gentiment et gratuitement réparé. Sans m’en rendre compte, j’avais une démarche écologique, non pas consciente et revendiquée, mais parce que je vivais modestement. Plus tard, lorsque je suis redevenue étudiante dans une école privée à Paris, comme je n’avais pas d’appareil photographique numérique, un ami m’avait prêté le sien puis mon père avait bien voulu m’aider à acheter un modèle que j’avais sélectionné, le moins cher et le plus polyvalent. Parmi tous les étudiants qui étaient dans ma promotion, dont la plupart était très aisé, je faisais partie de ceux dont le matériel était le plus bas de gamme et le moins qualitatif. Malgré tout, je pouvais faire des photos et m’exprimer. Toutes ces expériences m’ont appris à développer une forme d’humilité et de débrouillardise, même si à l’époque je ressentais davantage de gêne que de fierté.

Depuis 2019, j’ai renoncé à la photographie comme médium, j’utilise principalement des carnets de feuilles de papier prédécoupées, des stickers et des stylos bon marché qu’on trouve dans les magasins de beaux-arts ou des papeteries. J’ai choisi ces matériaux car ils correspondent à mes recherches actuelles, ce qui veut dire que je réfléchis déjà à d’autres solutions pour le futur. Je n’aime pas utiliser des stylos destinés à être jetés, ni des stickers dont le support en plastique va finir à la poubelle, ni du papier qui risque de ne pas être réutilisé, mais j’ai choisi de ne pas aller vers certains médiums et travailler des techniques que je trouve trop encombrantes, chères ou polluantes. Je m’interroge sur d’autres modes de productions et aussi sur d’autres formes d’expression, car j’aimerais que mes valeurs en tant qu’individu puissent aussi se refléter dans mon travail en tant qu’artiste. J’ai également choisi de ne pas surproduire et de ne pas stocker des pièces ou du matériel en grande quantité. En général, j’ai une approche assez minimaliste vis-à-vis de la création, pour moi l’écologie ne se situe pas dans le sujet qui est abordé dans une œuvre d’art mais dans l’oeuvre elle-même et sa technicité. Si l’art veut prétendre parler d’écologie ou avoir un discours écologique, je crois qu’il doit commencer par redéfinir ses propres techniques et moyens de mise en œuvre. L’art minimal, le land art et l’arte povera avaient déjà initié cette réflexion et apporté des éléments de réponses, qui aujourd’hui prennent de plus en plus de sens dans notre monde actuel. Ces influences m’habitent et nourrissent certains projets que j’aimerais réaliser et concrétiser dans le futur.

Détail de l’installation Les illusions perdues réalisée à partir de bougies votives rouges usagées que j’ai collecté dans une église pendant plusieurs mois, Université de Nîmes, 2004. ©Julie Badin


SUR LA RECONNAISSANCE - 2023

La plupart des artistes cherchent une forme de reconnaissance. Parfois celle-ci vient tôt ou plus tard à un âge avancé, après la mort ou bien jamais, comme pour bon nombre d’artistes. Je pense à Emma Kunz, Joanna Brouk, Hilma af Klint, Vivianne Maier par exemple, qui sont restées plutôt discrètes toute leur vie ou encore à Frida Kahlo, Bettina Grossman, Sophie Taeuber-Arp qui ont revendiqué une pratique artistique mais n’ont pas été reconnues suffisamment de leur vivant, mais aussi à Louise Bourgeois, Sonia Delaunay ou Etel Adnan dont le travail a été reconnu bien après leurs soixante ans. J’évoque ici uniquement des artistes femmes car elles ont eu moins de possibilités de reconnaissance par rapport à leur genre, leur parcours et leur époque. Même s’il y a davantage d’artistes femmes reconnues aujourd’hui, je ne situe pas non plus la reconnaissance dans une problématique unilatérale de genre mais plutôt de domination.

Le besoin de reconnaissance est lié au travail et à l’engagement de l’artiste, il n’est pas forcément lié à un besoin purement narcissique ou à la validation d’une autorité reconnue mais à quelque chose de plus complexe comme on peut aussi trouver dans l’existence et l’amour. Créer une œuvre c’est vouloir créer quelque chose de réel, propice à une expérience, en espérant laisser une trace de sa présence et de son passage dans l’espace et le temps. La reconnaissance finalement est bien plus grande que soi, elle génère et permet la création. Elle se situe là où l’œuvre commence et s’arrête, elle ne s’incarne pas dans un prix, un lieu ou un nom mais plutôt dans sa rencontre avec l’altérité. Créer est dès lors la possibilité d’une rencontre, de la connaissance vers la reconnaissance.


« The most profound interiorization of the outward and the purest exteriorization of the inward. »

Harald Szeemann (about Emma Kunz’s abstract drawings)


SUR ÊTRE ARTISTE - 2023

Être artiste, c’est penser, créer et produire quelque chose qui n’existe pas au préalable : une œuvre. L’œuvre est ce qui permet une rencontre avec l’altérité, de soi à l’autre. L’art sans public reste tout de même de l’art, mais l’artiste sans public n’existe pas. Être artiste, c’est exister et résister, en donnant à voir, penser et ressentir. Être artiste, c’est vouloir provoquer une rencontre singulière entre différentes intériorités. Être artiste, c’est apprendre à penser et à voir pour penser et voir autrement.


SUR LA PRÉSENTATION DE MON TRAVAIL - 2023

J’aimerais que la personne qui expérimente mon travail puisse s’y recueillir, comme si elle était dans un endroit sacré, l’eau de la mer ou en elle-même, écartant le dehors pour aller au dedans. Je veux que mon travail soit un passage immobile permettant de faire le pont entre les mondes, le monde du dehors, le monde en soi et hors de soi. Je cherche aussi à ce que celui ou celle qui regarde et expérimente mon travail puisse se sentir dans une expérience presque sacrée avec chaque œuvre, d'où l’importance de l’accrochage, de l’environnement lumineux, sonore et monstratif. J’aimerais pouvoir exposer mon travail dans des lieux difficiles d’accès ou sacrés, déchargés de leur religiosité, dans des chapelles, des grottes, des confessionnaux, des sous-sol par exemple mais aussi sous la forme de recueils, de retables, d’icônes dont l’histoire et la croyance est à réécrire.

Vue de la série “Différences et répétition” exposée dans une ancienne cellule d’un couvent occupé auparavant par des religieuses des Victimes-du-Sacré-coeur-de-Jésus, Couvent Levat, Marseille, 2021. ©Julie Badin


SUR L’ÉVOLUTION DE MON TRAVAIL - 2023

Pour l’instant, mon travail est principalement sur papier pour des raisons à la fois formelles, pratiques et économiques. Sur le papier, je peux matérialiser rapidement une pensée, qu’elle soit concrète ou abstraite, et créer plus facilement sa présence. Auparavant, j’utilisait la photographie car je pensais qu’elle me permettait de travailler la lumière et représenter le réel avec spontanéité et instantanéité, mais son rapport au visible ne m’intéresse plus car le monde sous mes yeux me suffit, je n’avais plus envie d’en donner une vision. Basculer vers le dessin et l’abstraction a été une façon pour moi de pénétrer davantage dans le réel, dans l’existence. Depuis, je produit des séries de dessins et je souhaite également développer mon travail en trois dimensions, pour lui donner une matérialité et une présence physique, voire en quatre dimensions, pour créer des espaces ouverts ou fermés, dans lesquels on pourrait rentrer et sortir, se recueillir, se concentrer, se perdre et se retrouver. 


« Le chemin qu’est notre vie produit lui-même une lumière, un monde qui est le sien, dans lequel il consonne avec la nature, fait apparaître ses possibilités propres et laisse transparaître devant la face de qui il s’accomplit. »

Jan Patočka


SUR LE PROCESSUS CRÉATIF - 2023

Etant donnés que la lumière, l’expérience empirique et la centralité sont des éléments importants dans mon travail, ils me guident vers des directions et des techniques propices à la représentation d’une pensée à la fois abstraite et concrète. Mon processus consiste à sonder ma réalité pour y trouver des sortes de zones lumineuses, et telle une orpailleuse ou une chineuse, je prélève dans ce flot incessant de pensées et d’émotions, certains fragments que je veux saisir et rendre visibles. Mon travail est construit comme une suite de trouvailles, déterminé par la chance, la patience et l’observation.


SUR MON POSITIONNEMENT ARTISTIQUE - 2023

Je fais de l’art avec l’immense espoir que d’autres personnes voient et expérimentent mes œuvres, sinon je ne serais pas une artiste. J’aimerais que ceux qui rentrent en contact avec mes œuvres s’arrêtent, se recueillent, se posent des questions, méditent ou contemplent ce qu’il se joue en eux. Mon travail n’est pas politique, je ne cherche pas non plus à parler des autres, défendre des idées ou changer le monde mais plutôt à éveiller la conscience de soi et du monde à travers l’art. En effet, l’art m’a sauvé de ce qui pouvait m’anéantir et continue de m’accompagner dans mon développement en tant que personne et artiste. Je crois que l’art peut nous aider à réinvestir le monde dans ce qu’il a de plus pur et à retrouver notre nature profonde grâce à des formes sensibles et sensibilisantes.


« Et quiconque approfondit les trésors intérieurs cachés de son art est à envier, car il contribue à élever la pyramide spirituelle, qui atteindra le ciel. » 

Wassily Kandinsky


SUR LA PERCEPTION DANS MON TRAVAIL - 2023

Depuis 2019, je créé des espaces-temps matériels via des pièces mêlant dessin et collage. Je vois ces objets comme des icônes profanes, témoins et garants d’une expérience intérieure, intime et à la fois universelle. Je créé des pièces en vue de leur donner leur propre autonomie, qu’elles soient vues ou pas. Ce sont des images latentes en quelque sorte, un peu comme les icônes qu'on peut trouver dans une église où les fidèles se rendent pour les vénérer alors que les touristes passeraient devant sans même les voir. Et peu importe au fond, car elles sont bien là, présentes et présences. Mes pièces sont des objets qui évoquent la possibilité d’une certaine immatérialité, dans ce qu’elle a de plus réel et à la fois de plus proche. Le point de vue et la question de la distance jouent un rôle important dans la perception de mon travail, au risque de ne pas voir, tout comme la relation que chacun peut avoir avec soi-même et le monde qui l’entoure.

Une libellule devant l’un de mes dessins issus de la série Résolution irrégulière, Galerie du Tableau, Marseille, 2021. ©Julie Badin


SUR POURQUOI JE FAIS DE L’ART - 2023

Je créé pour explorer mon humanité, la profondeur de mon existence, de mon âme et au-delà. Mon travail est une série d’essais et de recherches pour mieux comprendre ce qui me traverse et m’anime, et ce qui peut traverser un être humain. Pour cela, j’ouvre un espace-temps réel, matériel et visible pour recueillir et fixer ce qui m’échappe déjà : une question, un souvenir, une pensée, un mouvement intérieur. L’art me permet d’aller explorer ce qui me constitue comme sujet et expérience, afin d’en restituer la mémoire, sous une forme visible, tangible et universelle.


sur l’acte créateur - 2023

Lorsque je créé une pièce, j’essaye toujours de la penser dans sa globalité : espace, temps, profondeur. Dans mon processus de création, je vois l’acte créateur comme une immersion dans la mer suivi d’un retour à la surface sans cesse en mouvement. J’ai un rapport ritualisé et presque sacré avec l’acte créateur, car je ressens comme la nécessité d'être en connexion totale avec mon sujet, et c’est dans la concentration et la pleine conscience que je peux arriver à trouver des pistes de ce que je cherche à représenter, à retranscrire ou à explorer. Créer c’est sonder le monde, aller dans ses profondeurs, son invisibilité et sa signification.

Je pense que l’ensemble de mon travail est une série de tentatives, comme un passage ouvert pour trouver une forme de vérité malgré le doute, le trouble, l’indécision. Je pense mon travail dessiné en série comme des déclinaisons, déviations, variations via un langage à la fois simple et complexe. L’art me permet de fixer et de matérialiser des instants, des idées, des hypothèses qui peuvent échapper à l’espace et au temps, voire même se détacher de ma propre histoire pour aller vers quelque chose de plus universel. Créer selon moi c’est rechercher une forme de priméité.


« L’art est une blessure qui devient lumière. »

Georges Braques


sur Ma technique - 2023

Dans ma pratique sur papier, je mêle des techniques qu’on pourrait qualifier de primaires comme le collage, l’assemblage et d’autres plus sophistiquées comme le dessin précis de type industriel, la mesure. Les outils que j’utilise sont des stylos roller gel, des feutres calibrés, des autocollants/gomettes, une équerre, une règle, un compas et un normographe (trace cercles). Les actions récurrentes  que je mets en place sont les suivantes : tracer, sonder, contempler, répéter, dissimuler, poser, masquer, repasser, dépasser, contraindre, résumer, connecter, assembler. Le choix de l’utilisation exclusive du doré, du rouge, du noir et du blanc me permet de créer un univers plastique symbolique, singulier, identifié, limité et défini dans lequel je peux décliner une infinité de variations via le dessin et les formes, qui offrent une multitude de possibilités.

Je n’ai pas inventé une technique ou un procédé artistique particulier mais j’ai créé une combinaison originale de techniques qui semblent s’opposer ou difficile à associer : le dessin technique et le collage d’enfant, des outils professionnels et des outils appartenant aux loisirs créatifs. Cette combinaison du dessin technique et du dessin d’enfant créée ainsi un contraste que je trouve intéressant, un mélange de savoir et d’apprentissage, de précision et de spontanéité, de confiance et parfois de maladresse.


sur MON choix de médiums - 2023

Je suis allée naturellement vers le dessin et la photographie sans savoir pourquoi au départ. Il y a souvent eu dans mon travail une alternance de moyens graphiques entre dessin, écriture et photographie, qui sont finalement des pratiques assez similaires dans leur sens originel (du grec ancien graphein qui signifie « écrire », « dessiner », « graver »). Le choix de ces médiums s’explique par une recherche fondamentale en rapport avec la lumière, de façon physique via la photographie et de façon plus abstraite via l’écriture et le dessin. La photographie a été pour moi un moyen d’entrer en contact avec le monde grâce à un appareil photographique. Le dessin est devenu un moyen d’explorer le monde intérieur via le stylo, entre lumière et obscurité, du dehors au dedans. Mon travail écrit est naturellement un prolongement de ma pratique, il apporte une réflexion et une autre approche par rapport à mon travail.

Par ailleurs, la photographie, l’écriture et le dessin se sont imposés à moi par leur simplicité d’exécution et la rapidité de résultats. J’aime travailler rapidement, le plus efficacement et précisément possible. En général, je ne passe pas trop de temps à créer une image ou un dessin, il faut que je sente qu’il y ait comme une évidence, car je réfléchis et fais beaucoup de recherches avant et après la production. Je préfère que l’œuvre finie soit beaucoup plus instinctive et spontanée que son interprétation, qui ouvre le champ de possibilités infinies. L’installation et la vidéo sont aussi des médiums qui m’intéressent pour la relation qu’ils créent avec l’espace et le temps. Mon rapport à la peinture est distant, car c’est un médium que je perçois comme compliqué, polluant, salissant et qui requiert souvent beaucoup de place et de temps. Le dessin et l’installation sont des médiums qui me conviennent mieux car je peux utiliser des petits moyens de production ou des moyens éphémères, réutilisables voire recyclables. 


« I am a searcher... I always was... and I still am... searching for the missing piece. »

Louise Bourgeois


sur la découverte de ma sensibilité artistique - 2023

Mes parents n’étaient pas réellement initiés à l’art, mais je me souviens qu’on allait visiter des chateaux (car j’habitais près de la vallée de la Loire jusqu’à mes 8 ans) et parfois des sites archéologiques ou des grottes. Je pense que j’ai été imprégnée par ces lieux du passé, notamment par la peinture, les arts décoratifs, mais aussi par le côté mystique et sacré des menhirs, les espaces sombres, froids et humides des grottes, révélant sur leurs parois des dessins primitifs. Aussi, je passais beaucoup de temps à l’extérieur, dans le grand jardin surmontant le paysage, les champs et les forêts environnantes, la plupart du temps seule, parfois avec des copains, mais aussi en famille lors de balades dominicales. La Nature m’a appris très tôt à observer et être à l’écoute, être dehors m’a permis de me connecter plus facilement avec ce qui m’entoure, de me sentir comme faisant partie d’un tout et de me connecter à moi-même.

Enfant, j’adorais dessiner, colorier, chanter, écouter de la musique et regarder des dessins animés dans lesquels les héros(ines) luttaient sans cesse contre le mal, l’injustice et la souffrance. Mon rapport à la vie ressemble aussi à une lutte, la recherche d’un équilibre dans un monde très tôt perçu en déséquilibre. Trouver des alternatives au monde réel était pour moi une nécessité. Je pense m’être construit une bulle qui ne m’empêchait pas de voir et vivre au travers mais de pouvoir créer une distance. L’art m’a conduit à entrer en résonance avec le monde d’une façon encore plus profonde, me permettant de donner du sens à ce que je vis et à ce que je ressens à travers ce que je fais.

Portrait de moi par mon père, circa 1985. ©Gilles Badin


« Le temps n’a qu’une réalité, celle de l’instant. Autrement dit le temps est une réalité resserrée sur l’instant et suspendue entre deux néants. »

Gaston Bachelard


sur mon inspiration - 2023

Je suis directement inspirée par ce que je vis et ce qui m’entoure : ma propre vie, la Nature, le temps, l’espace, le langage, l’infiniment petit et l’infiniment grand, l’origine du monde, le sens de la vie et de la mort, la lumière et l'obscurité pour leurs propriétés physiques mais aussi métaphoriques. Le besoin d’aller voir, de regarder, d’observer est au fondement de ma pratique, de mes recherches et oriente tout mon travail. Ce qui m’intéresse c’est d’explorer l’intériorité, de soi et du monde, de chercher ce qu’il y a derrière, dedans, entre, au-delà.

Par ailleurs, mes études universitaires en arts plastiques et en histoire de l’art m’ont permis de découvrir d’autres regards sur le monde, me conduisant lentement à sonder ma propre histoire et mon rapport à la création. Je suis sensible et influencée, à différents niveaux, par l’œuvre de beaucoup d’artistes, de réalisateurs(trices) ou de musiciens(ennes) comme Gustave Courbet, Wassily Kandinsky, Kaszimir Malevitch, Le Carravage, Yayoi Kusama, Louise Bourgeois, Verà Molnar, Bettina Grossman, Anna-Eva Bergman, Pier Paolo Pasolini, Ingmar Bergman, Philip Glass, Joanna Brouk, Terry Riley… pour n’en citer que quelques un(e)s.


« I don’t have a piano, I don’t have a studio
So I grabbed some butcher paper in the room
And I started drawing the music I was hearing
It was geometric shapes
So an arpeggio might be a series of circles rising towards the sky
And I was very familiar from my days in the studio with the oscilloscope
which provides the dimensional shape of a sound. »

Joanna Brouk


sur mon travail - 2023

Mon travail est principalement sur papier, il peut être photographie, écriture, dessin et parfois installation. Je travaille généralement en séries, sur des formats différents, et j'écris des notes, poèmes et réflexions dans des carnets, sans pour autant utiliser cette matière comme objet de création ou de monstration. J’ai longtemps dédié ma pratique à la photographie pour progressivement me rapprocher du dessin, qui me paraît plus en phase avec mes préoccupations actuelles, que ce soit pour des raisons conceptuelles, personnelles ou plastiques. Mes dessins semblent abstraits et géométriques en apparence, composés de formes simples, d’une gamme colorée réduite (or, rouge), de blanc et de noir. En arrière plan, mon travail de dessin traduit une complexité invisible mais bien réelle, loin de l’abstraction et de la géométrie, dont le langage et les moyens plastiques me permettent d’y accéder et de restituer mes expériences.

Vue de l’exposition Résolution irrégulière, Galerie du Tableau, Marseille, 2021. ©Julie Badin


« Le faire est révélateur de l’être. » 

Jean-Paul Sartre


sur mon enfance - 2023

J’ai eu une enfance compliquée, marquée par la lourde maladie psychique de ma mère apparue juste après ma naissance, des relations toxiques et le divorce de mes parents qui ont été pour moi de réelles épreuves. Dans ce contexte, j’ai réussi à développer des défenses pour exister et résister en acceptant ma solitude et en embrassant ma sensibilité. Je me suis donc intéressée très jeune au dessin, à la musique et à la Nature car ils étaient pour moi des sources de bien-être, d’évasion et d’élévation. 

Quand j’avais 4 ou 5 ans, une boule de foudre (foudre en boule ou foudre globulaire) est entrée à l’intérieur de ma maison par la cheminée. Elle a fait des tours dans le salon puis est repartie après quelques instants. Du fait de mon jeune âge, je n’ai pas de souvenirs précis de l’événement mais je me souviens d’avoir eu très peur et que mon père nous avait rapidement évacué de la pièce pour nous protéger. Ce phénomène assez rare reste toujours inexpliqué. Mon intérêt pour l’inexpliqué, la Nature et la lumière a toujours nourri mes réflexions et mes recherches tout comme ce qui touche à l’inconscient, à la mémoire et au souvenir. Cette expérience extraordinaire remontant à ma petite enfance a peut-être eu un impact sur mon parcours et ma démarche artistiques.

J'ai découvert que la création était d'abord une thérapie naturelle, m'aidant à exprimer et à transcender un déluge d'émotions liées à mon histoire. Et puis, petit-à-petit, mon rapport à la création a lentement évolué pour devenir un moyen de penser et comprendre ce que je suis et le monde dans lequel je vis. L’observation occupe une grande partie de mon temps, elle me permet d'être à l’écoute et en lien avec le monde dans lequel j’évolue, qui est sans cesse en mouvement. J’ai souvent besoin de m’arrêter et d’expérimenter le présent. Créer m’aide à rentrer en communication et en communion de manière plus authentique avec le monde et moi-même.

Sans titre, dessin aux feutres et crayons de couleur, mai 1986. ©Julie Badin